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LA SISTIERE

Voir des témoignages sur la Sistière sur le Blog "La Grenouille" :   1      2

   Nous avons montré, dans un chapitre précédent, les efforts que la municipalité de Montrouge avait faits ces dernières années pour doter la ville de plus d'espaces libres, malheureusement, dans une agglomération aussi dense que Montrouge, le terrain est trop cher et la propriété trop morcelée pour qu'il soit possible de créer d'aussi vastes jardins publics qu'il serait nécessaire.

D'autre part, malgré les améliorations apportées au logement des classes laborieuses par les habitations à bon marché, de nombreux enfants souffrent du manque d'air et de soleil dans dés chambres trop étroites ou surpeuplées. M. Cresp, maire de Montrouge, qui porte un très particulier intérêt à l'enfance, pensa qu'il n'y aurait pas de plus belle oeuvre à réaliser que de rendre santé et forces à des enfants momentanément arrêtés dans leur développement par la maladie ou la misère, et auxquels il suffirait de donner pendant un temps assez long, l'air, le soleil, une bonne nourriture et un bon logement, pour en faire des enfants sains, prêts à reprendre une vie normale.

Le Conseil municipal adopta d'enthousiasme cette manière de voir, et chargea le maire, aidé de ses conseillers techniques, de chercher une propriété pour y créer une école permanente de plein air. Il fallait s'éloigner assez de Montrouge pour que les enfants jouissent de la pleine campagne et pour qu'il soit financièrement possible d'acquérir à bon compte un vaste domaine. L'éloignement de Montrouge ne devait pourtant pas être tel qu'il ne permit pas aux parents d'aller, par chemin de fer, voir leurs enfants et de revenir dans la même journée. La Vallée de la Loire sembla le lieu d'élection son doux climat, ses paysages agréables, sa proximité relative de la capitale, n'en ont-ils pas dès longtemps fait le jardin de la France et une villégiature de prédilection? Les nombreux châteaux qui s'y trouvaient à vendre facilitaient d'autre part les recherches. Pendant l'hiver 1930-1931, M. Cresp les visita tour à tour. Ceux qui retenaient son attention étaient l'objet ensuite de visites détaillées. Finalement en mars 1931, la ville de Montrouge faisait l'acquisition du château et du domaine de la Sistière, à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher) pour y installer une colonie permanente d'enfants débiles, comprenant internat et école.

La Sistière est une propriété, composée de bois et de prairies, d'une contenance de 17 hectares, située aux confins de la forêt de Chambord. Au centre de la propriété s'élève le château dont l'intérieur fut aménagé pour sa nouvelle destination, sans que rien ne vint en modifier le caractère architectural extérieur. Au premier rez-de-chaussée sont installés les deux réfectoires (garçons et filles), la cuisine et les services d'économat. Immédiatement au-dessus se trouvent les deux classes, la bibliothèque, la vaste salle des fêtes, le bureau directorial. Aux premier et deuxième étages, la plupart des cloisons intérieures ont été supprimées, on a pu ainsi créer de vastes dortoirs, bien aérés et ensoleillés, entièrement peints au Ripolin, et où s'alignent les lits des enfants, largement espacés. Nous avons visité bien des internats d'enfants, écoles, collèges, préventoriums, mais jamais nous n'avons vu de dortoirs où chaque enfant disposât d'un aussi grand cube d'air. Aux angles du château, dans les tours, sont les chambres des surveillantes, auxquelles rien ne peut échapper de ce qui se passe dans les dortoirs. Au premier étage se trouvent les dortoirs des filles, d'une part, et d'autre part, l'infirmerie et la salle d'examen médical. Le second étage est occupé par les dortoirs des garçons.

Le château est entièrement chauffé par des radiateurs (chauffage central par eau). Il est éclairé à l'électricité, l'eau chaude et froide est distribuée à tous les étages dans de nombreux lavabos et dans six salles de bains. Sur la façade latérale nord du château, on a créé, se répétant identiques aux quatre étages, des blocs sanitaires comprenant WC, avec chasses d'eau et toilettes. Que les enfants aillent aux réfectoires ou en sortent, qu'ils soient en classe ou dans leurs dortoirs, ils peuvent toujours se rendre de plein-pied aux lavabos. Autour du château s'étend le parc qui offre de vastes pelouses et de beaux ombrages. Suivant. les jeux et la température, les enfants peuvent prendre leurs ébats au soleil sur l'herbe, ou sous le couvert des bois. Dès que le temps le permet, c'est aussi dehors, à l'ombre des cèdres centenaires ou des vieux chênes, que se font les classes. Mais l'hiver même, sauf en cas de pluie, les exercices physiques d'ensemble, avec chants, qui séparent les heures de classe, se font toujours dehors, pour le plus grand bien des enfants.

Au fond du parc se trouvent les communs. Un établissement de douches permet d'y faire passer tous les enfants deux fois par semaine. A côté, un gymnase couvert a été installé. Une buanderie mécanique permet de laver tout le linge de la maison. Une petite centrale électrique, qui existait avant l'achat de la propriété, a été conservée et supplée le secteur en cas de panne. Une basse-cour modèle fournit l'établissement en oeufs, volailles et lapins, ainsi, les enfants peuvent manger le dimanche des poulets de la Sistière, le jeudi des lapins de la Sistière, et le soir des oeufs de la Sistière. Derrière les communs s'étend un vaste potager qui fournit tous les légumes et les fruits.
Dans le parc, un pavillon spécialement construit à cet effet est habité par l'instituteur et l'institutrice qui assurent le service des deux classes.

Pour une agglomération de cent personnes, il fallait prévoir une alimentation abondante en eau pure. Après des expériences multiples faites par M. Diénert, directeur du laboratoire de contrôle des eaux de la ville de Paris, un puits profond de 25 mètres, aux parois étanches, a été foré pour aller chercher l'eau à un niveau garantissant sa pureté. De nombreuses expériences ont prouvé que cette eau présentait toutes les qualités d'une eau potable parfaite : limpidité, fraîcheur, faible teneur minérale, absence de germes microbiens. Pour assurer la distribution de cette eau, un château d'eau a été construit, une pompe électrique automatique élève l'eau dans le réservoir supérieur d'où elle redescend pour être distribuée sous pression, à tous les étages du château, dans les communs, dans le potager.
Les travaux d'aménagement, commencés le lendemain de l'achat de la Sistière, en mars 1931, furent rapidement poussés, et en octobre de la même année, un premier contingent d'enfants venait occuper le château transformé. Depuis lors, de constantes mises au point ont permis de réaliser un ensemble qui force l'admiration de tous ceux, déjà nombreux, qui ont visité la Sistière, parents des jeunes pensionnaires, habitants de Montrouge, maires et conseillers municipaux de la Seine, de Paris et d'ailleurs, conseillers généraux, membres du Parlement, médecins, hygiénistes, pédagogues, administrateurs.

La Sistière reçoit les enfants de Montrouge âgés de 7 à 13 ans, dont l'état de santé déficient réclame un long séjour à la campagne, ou dont les conditions familiales les mettent momentanément en danger de souffrir de la misère. Quelques enfants des villes du département de la Seine, voisines de Montrouge, sont également admis à la Sistière, à charge pour ces villes de payer tous les frais concernant ces enfants. C'est ainsi qu'un certain nombre d'enfants d'Antony ont pu profiter du séjour de la Sistière, il faut dire que M. le sénateur A. Mounié, maire d'Antony et grand ami de Montrouge, suit, depuis l'origine, avec le plus grand intérêt, le développement de l'oeuvre entreprise à la Sistière. Les enfants atteints de maladies contagieuses ou aiguës et les anormaux n'y sont pas admis. Les enfants, désignés parmi les élèves des écoles par les médecins inspecteurs et les assistantes scolaires, subissent un examen médical avant d'être admis. Ils doivent être vaccinés contre la variole et la diphtérie. A leur arrivée à la Sistière, ils sont entièrement habillés par l'établissement. Ils ont un costume spécial, avec manteau et béret, pour les sorties du dimanche. Mais ce costume n'a rien d'un uniforme. Dans le même esprit, le triste tablier noir a été remplacé pour les jours de semaine, par un tablier bleu pour les garçons, rose pour les filles.

L'emploi du temps a été réglé pour que les enfants profitent au maximum de leur séjour à la Sistière. Les classes sont plus courtes que dans les écoles ordinaires, deux classes de trois quarts d'heure le matin, autant l'après-midi. Ces classes sont précédées et suivies par des exercices respiratoires ou des jeux avec chants dans le parc. Il ne faut pas croire pourtant que l'instruction soit négligée. La meilleure preuve en est fournie par les succès obtenus au certificat d'études : en 1933, sur trois enfants en âge d'être présentés, deux ont passé l'examen avec succès, en 1934, sur six enfants présentés, cinq ont été reçus.

Mais les enfants de Montrouge envoyés à la Sistière y sont surtout pour améliorer un état de santé déficient. Une surveillance médicale constante est assurée et des pesées et mensurations périodiques permettent de vérifier les effets de la cure.
Nous voudrions pouvoir fournir ici les résultats numériques de toutes ces mesures; nous ne pouvons qu'en donner une idée. Tous les enfants augmentent de poids durant les premiers mois de leur séjour. Quelques-uns, une très petite minorité, restent ensuite stationnaires, mais les plus nombreux continuent à se développer, et ceux qui restent le temps réglementaire du séjour (un an) partent de la Sistière ayant augmenté de plusieurs kilogrammes (une fillette a pris 7 kilogrammes en un an) et avec des mines qui contrastent avec celles qu'ils présentaient à leur arrivée.

Grâce aux mesures prophylactiques prises avant l'admission des enfants à la Sistière et durant tout leur séjour, aucune épidémie n'a sévi parmi eux. Les quelques cas de maladie observés sont toujours restés des cas isolés. La proximité de l'hôpital de Blois permet d'y envoyer les enfants malades, dès que leur état nécessite des soins spéciaux
c'est ainsi que plusieurs y ont été opérés et sont revenus ensuite à la Sistière continuer leur séjour.
D'autre part, grâce, aux mesures prises pour écarter toute cause de danger (grilles aux fenêtres, clôtures du parc et autour des pièces d'eau), et grâce à la surveillance exercée aucun enfant de la Sistière n'a été victime d'accident ,jusqu'à présent.
Quelqu'agréable que soit le séjour à la Sistière, il pourrait être monotone s'il ne comportait des distractions exceptionnelles. Durant les mois d'hiver, deux fois par mois, le ,jeudi après-midi, des séances de cinéma sont organisées dans la salle des fêtes. Dès que la belle saison revenue le permet, de longues excursions en autocars emmènent enfants et surveillantes vers les sites et châteaux célèbres de la région, vallées du Loir, du Cher ou de l'Indre, Amboise, Tours, Langeais, Loches, Vendôme, Lavardin, etc.

Depuis moins de trois ans que la Sistière s'ouvrit à ses premiers pensionnaires, 250 enfants en ont profité, totalisant déjà plus de 80.000 journées de présence. Grâce aux nouveaux aménagements l'effectif actuel des enfants présents est de 90. M. Cresp, depuis le premier jour, s'est consacré avec enthousiasme à cette oeuvre qu'il dirige avec les soins les plus attentifs ; dès que sa charge de maire et son mandat de conseiller général le lui permettent, il se rend à la Sistière, s'assurant personnellement de la bonne marche, de l'établissement jusqu'en ses détails, et s'intéressant à chaque enfant. Aussi est-ce avec la satisfaction d'avoir au nom de la municipalité accompli une belle oeuvre et une bonne action, que M. Cresp a pu, dans la séance publique du conseil municipal de Montrouge, le 2 ,juin 1934, faire la déclaration suivante
 

En ce qui concerne la Sistière, nous pouvons être fiers de notre oeuvre de solidarité sociale. Nous avons toujours considéré que les enfants ne devraient pas être victimes de leur naissance; quand la famille ne peut subvenir à leurs besoins, la collectivité doit la suppléer.
C'est pourquoi nous avons acheté cette propriété, bien placée en Touraine, mais ce n'était pas suffisant, il fallait s'en occuper et nous l'avons fait; d'ailleurs, nous recevons tous les jours des lettres de remerciements des familles.
Il y a à la Sistière 90 enfants d'un bout de L'année à l'autre, et si l'établissement était plus grand il y en aurait 200.
Chaque semaine, le docteur Bianquis vient les visiter, les mesurer, les peser. Chaque enfant a une fiche. Chaque semaine les familles sont tenues au courant de l'état de santé de leurs enfants.
Quand ils arrivent, les enfants sont habillés des pieds à la tête. Pour le dimanche, ils ont encore un complet, mais pour un souci que vous comprendrez, ce n'est pas un uniforme. Ils sont habillés, chaussés, coiffés ; ils sont nourris, et je vous assure qu'ils sont nourris dans des conditions confortables. Ils ont le dimanche du poulet de notre basse-cour, le jeudi, du lapin de notre clapier ; le restant de la semaine, de la viande de boucherie, et le soir nous leur donnons des oeufs de nos poules. L'été, ils n'ont que des légumes verts, quelques pommes de terre, des haricots, produits du potager même de la Sistière.

Notre mandat ne consiste pas seulement à faire des palabres, nous avons l'habitude, quand nous entreprenons une chose, de la terminer. Nous avons la prétention légitime de faire tout notre devoir.
Les réfectoires et les dortoirs sont d'une propreté remarquable. Tout le monde peut y aller; d'ailleurs, les familles sont le meilleur contrôle que l'on puisse avoir. Si les enfants n'étaient pas bien traités, ils ne manqueraient pas de le faire remarquer.

Voici le prix de revient, la dépense, vous l'avez constaté au compte administratif, 346000 fr. .sur lesquels il y a lieu de déduire 57596 fr de recettes. Ce nouveau chiffre, divisé par le, nombre de journées passées par 90 enfants, donne un prix de journée de 8,90 fr, mais dans les 346000 fr. il y a les frais d'établissement, qui s'élèvent à 70000 fr, et si nous enlevons ces 70.000 fr employés à la construction d'un château d'eau, nous avons un prix réel de journée de 7 fr.
Quand on peut administrer dans de telles conditions, on n'a pas peur de se présenter devant la population. Il faut avoir le souci d'agir conformément à ce que l'on a dit et à ce que l'on promet.


Les liens qui se sont formés d'une part entre les enfants de Montrouge qui ont partagé la vie de la Sistière, d'autre part entre les familles de ces enfants qui se sont rencontrées au cours de leurs visites à la Sistière, se sont révélés assez forts pour subsister même après le retour des enfants à Montrouge. Une solidarité véritable, née. de beaux souvenirs communs, s'est développée entre eux, si bien qu'une société est née pour la mieux mettre en oeuvre. Les "Amis de la Sistière" groupent les enfants qui ont séjourné ou qui séjournent à la Sistière et leurs familles. Pour les anciens, la société est destinée à perpétuer entre eux, avec la mémoire du séjour passé, des sentiments de bonne camaraderie et d'aide mutuelle. Pour les enfants présents à la Sistière, elle contribue à l'organisation de fêtes et d'excursions. Pour les parents, auxquels leur situation rend trop onéreux le voyage, elle en facilite les moyens. Enfin pour tous, parents, enfants et amis, la société organise une grande fête annuelle qui les ramènera à la Sistière, heureux de revoir le château et de se promener dans le parc, où ils ont laissé tant de beaux souvenirs, et où, après eux, d'autres enfants viendront retrouver, avec la santé, la joie. de vivre.

 

 Voir des témoignages sur la Sistière sur le Blog "La Grenouille" voix de Cheverny & Cour-Cheverny

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